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Dan Stanca est l'auteur très discret de 17 romans publiés entre 1992 et 2003. Le dernier homme est le treizième de son abondante bibliographie.
Bien connu pour ses écrits fantastiques et métaphysiques (ses «thrillers métaphysiques»), Dan Stanca fait preuve, dans ses livres, d'un grand esprit d'observation pour le monde politique, social et culturel qui l'entoure.
Le dernier homme nous entraîne dans une intrigue palpitante. Quel sera le sort de cet homme meurtri par le suicide de son fils et la folie et sa femme? Que veut cette étrange secte d'hommes qui à l'instar de Cyclope n'ont qu'un oeil, au milieu du front? Que veut ce vagabond expulsé de l’ancienne Union Soviétique, quand il arrive en Roumanie? Il y devient une sorte de héros magique, grâce à son œil unique, en forme d’étoile, placé au milieu de son front, mais? Et le prêtre orthodoxe qui va l’affronter, est-il guetté par l’hérésie ou candidat au Salut?
Héritier à la fois de la science fiction et des récits d’horreur, l’auteur nous livre un roman de facture policière, imprévisible, loin de toute convention, qui tient le lecteur en haleine.
LE DERNIER HOMME
Exergue
Pas plus tard qu’il y a cinq jours, il se trouvait dans une société surtout composée de dames de cette ville; il affirmait solennellement au cours d’une conversation que rien au monde ne peut obliger les hommes à aimer leurs semblables, qu’il n’existe pas de loi naturelle en vertu de laquelle l’homme devrait aimer l’humanité;que s’il y a eu, s’il y a encore de l’amour sur terre, la raison n’en est point dans quelque loi de la nature, mais dans le seul fait que les hommes croient à leur immortalité. Ivan Fédorovitch a même ajouté, en passant, que cette croyance constitue en réalité l’unique base de toute loi morale naturelle, si bien que la disparition dans l’humanité de la croyance en l’immortalité ferait non seulement tarir aussitôt les sources de l’amour, mais priverait les hommes de toute force pour poursuivre leur existence en ce monde. Bien plus: rien ne serait immoral en ce cas, tout serait permis, même l’anthropophagie…
Fédor Dostoïevski Les frères Karamazov, II-ème partie, chapitre VI (Traduction extraite de l’édition établie par Alexandre V. Soloviev, avec la collaboration de Georges Haldas. Editions Rencontre, Lausanne, 1961)
Chapitre I
Tranquille, rotant, clappant de la langue, meuglant, bêlant, entre mes draps tièdes, fétides, inchangés depuis longtemps, je marine dans ma propre substance, sans ouvrir une fenêtre, sans aérer, comme un cocon enfoui dans la bouse ancestrale, dans la glèbe nationale, qui n’a plus besoin d’air pour respirer et vit au rythme lent de la vie bactérienne, subliminale, une existence bloquée dans son évolution, comme une bille parfaitement lisse, dépourvue d’antennes et de membres, dont n’aurait pas encore jailli le monstre bipède et tout ce qui a pu évoluer. Attardé dans la paix tiède de l’indifférenciation, chrysalide souillée dont n’éclora aucun papillon, aucun oiseau, boule de tripes où ne circuleront jamais les influx de l’histoire, voilà ce que je suis au seuil de la retraite, un type ignoble, que ses voisins détestent; ils se détournent chaque fois qu’ils me voient sortir de la maison. Ma maison, c’est-à-dire mon studio, assez spacieux, dans l’angle du quatrième étage d’un immeuble, glacial l’hiver. En ouvrant la porte du couloir, j’aperçois entre les arêtes de quelques immeubles la petite église en bois, invraisemblablement édifiée dans le parc de Balta Alba. Les gens la contemplent avec méfiance et ne comprennent pas trop ce qu’elle vient faire là, à occuper un bon terrain sur lequel les enfants auraient pu taper dans le ballon, ou qui aurait pu servir à l’emplacement d’une baraque à frites, ou bien….
Je suis vite fatigué, alors, paradoxalement, je n’arrive pas à m’endormir, je reste couché dans mon lit, pas très propre, mais je ne ressens plus rien, j’oublie que je suis vivant, j’oublie que je suis doué d’ouïe, de cinq ou six sens, je ne sais plus combien au juste…C’est ainsi que je réussis, en un temps assez bref, à vaincre ma lucidité, suprême performance. Quand je ne serai plus lucide, quand je ne saurai plus si je dors ou suis éveillé, quand je ne ferai plus la différence entre rêve et réalité, entre extérieur et intérieur, alors j’aurai vraiment trouvé le salut, et la mort physique, proche ou lointaine ne me causera plus aucune souffrance. C’est pourquoi, je crois que je suis sur la bonne voie. Je jette pourtant un coup d’œil prudent à la petite église que le Père Andreica a bâtie avec tant de zèle. C’est un natif du Maramureş, tenace, qui a su se battre ici, dans ce cloaque du Bărăgan avec tous les maires et les adjoints, se procurer de l’argent, faire chorus avec Teoctiste[1], jusqu’à ce que Son Eminence vienne, en grande pompe, bénir son lieu de culte. Ce Père Andreica, petit, dodu, tout rond, avec sa tête de paysan imperméable aux drames de la ville, sait se faire comprendre de tous. Il pétrit ses sermons, comme une ménagère pétrit sa pâte et parvient à assurer ses fidèles qu’ils gagneront bientôt le Paradis. J’ai écouté une seule fois une de ses homélies et l’espace d’un instant j’ai envié sa façon d’être ce doux berger des prairies immaculées… Avant, il m’arrivait de fouiller dans les Écritures à la recherche de passages obscurs, mystérieux, m’incitant à exercer mes talents spéculatifs. Mais à voir le Père Andreica asséner ses paroles, telles des battoirs solides de paysan, sur la tête des gens, qui, fussent-ils ingénieurs ou politiciens, médecins ou commerçants, avaient besoin de ce contact, j’ai commencé à me résigner. Ces gens-là n’étaient pas véritablement croyants, ils étaient plutôt superstitieux ou n’avaient pas assez de force pour nier la foi. Ils venaient à l’église en toute inconscience et, tout en ne comprenant pas ce qu'il s’y passait, ils restaient quelques minutes, un quart d’heure peut-être, se prosternant n’importe comment, à toute vitesse, allumant parfois un cierge, de façon mécanique, automatique, en toute ignorance, tant ils avaient besoin de tels gestes pour adoucir leur esprit professionnel, apprivoiser l’acuité de la raison, estomper la dureté de la vie positive de leur journée.
Tout en prononçant son sermon, le Père Andreica me regardait, planté dans un recoin de l’église, comme si j’étais un observateur critique de ce qui s’y déroulait. Je crois que, mû alors par une sorte d’impulsion malicieuse, il avait appuyé sur la pédale synodale de la foi partie d’en bas, montrant la terre, pétrissant l’argile, pressant le fruit, sous couvert d’une sainte et sereine inconscience, comme s’il avait voulu me dire à distance, me morigénant: «Il vaut mieux venir à l’église par instinct, par réflexe, plutôt que d’être trop lucide et d’analyser les raisons de sa présence». Cela finit par me mettre en colère, je n’ai plus supporté ses mines de maître d’école, de bedeau, de curé de village, qui se fichait de savoir qui dirigeait le pays, si c’était Antonescu, Ceauşescu ou Iliescu, si Reagan avait organisé la guerre des étoiles, si Gorbatchev avait mis en scène la Révolution roumaine. Il n’avait jamais entendu parler de Maître Eckhart ou de Ruysbroek, il employait un mot pour l’autre, fourré jusqu’au cou dans sa cour de ferme et ses champs labourés, capable, pour se faire comprendre, d’interpréter à la lettre les paroles de l’Evangile «je suis la porte, si quelqu’un passe, il passera par moi, il ressortira et trouvera le pâturage.». C’est-à-dire le pâturage pour les bêtes, pour les vaches, pour les moutons. En d’autres termes, celui qui croyait en Jésus avait le fourrage de ses bêtes assuré pour l’hiver dans son étable. Ha!ha! Comment supporter un tel prêtre! Eh oui! Vous, Père Andreica, vous n’avez pas été mis dans cette situation, mais si vous aviez pu le faire, je suis bien certain que vous auriez fermé les portes de votre église aux jeunes qui auraient voulu s’y réfugier quand la répression a commencé dans la nuit du 21 décembre. Tu crois, mon Père que je ne sais pas de quoi ton lard est capable, comment tu secrètes la lâcheté par tous tes pores, comment le cas échéant, tu aurais même envoyé un télégramme de félicitations à Ceauşescu, oh, pardonnez-moi, mon Père….
Il avait remarqué que je n’assistais plus aux offices. Il avait dû se renseigner auprès des femmes qui vendent les cierges, pour savoir si on m’avait aperçu à l’église, parce que, moi, je choisissais cet endroit, c’était mon coin, près de la table de vente des cierges, je n’avançais pas d’un pas vers l’autel. Table aux cierges, table d’autel, ça va de pair, il n’y a pas de hasard dans le choix des mots, tout est lié à l’église, depuis les mendiants sur le parvis et jusqu’au tabernacle. Il n’y avait que moi pour déparer, pour ne pas entrer dans le cadre de cette construction visible et invisible. Le Père Andreica avait essayé à plusieurs reprises de m’attirer en me disant:«M’sieur le professeur, vous pensez un peu trop, vous avez tort! L’homme ne doit pas penser, l’homme doit aimer. C’est par la foi et l’amour qu’il trouve son salut».
Je le regardais, avec son ventre qui s’arrondissait de plus en plus, avec son sourire pastoral, paternel et débonnaire. «Ce n’est rien, semblait-il dire tout le temps. Ne craignez rien, ne paniquez pas, le Bon Dieu vous pardonne, c’est pour cela qu’il est Dieu, pour être bon, pour être grand, pour nous serrer tous dans ses bras, nous presser contre son cœur». Je sentais la colère monter devant son immense sérénité, omni-réceptive, quand je voyais aussi sa femme, jeune et rondelette, les joues roses, marchant toujours les yeux baissés tant elle était humble, avec ses longs cheveux qui lui seraient descendus jusqu’à la taille, tressés en chignon paysan; elle lui avait déjà donné trois enfants et les enfants s’ébattaient entre leurs parents, parmi nous, alors que mon enfant, mon enfant à moi…
J’ai tant de mal à vivre, à vivre encore, mais je n’y peux rien, je suis obligé de me soumettre à mon organisme, qui est en bonne santé, qui ne veut pas tomber malade. D’autres voudraient vivre et ils sont fauchés à la fleur de l’âge et moi, qui désire, avec la même ardeur, cesser d’être, pour trouver ainsi une justification extérieure, objective, à mon abandon, j’ai une santé de fer! Quelle injustice! Comme les choses sont mal faites! En tout cas, celui qui a dit que seules les personnes chétives, prêtes, semble-t-il à rendre l’âme à chaque instant, parviennent à vivre longtemps, était fort inspiré. Plus on appelle la fin, plus elle s’éloigne. Voilà la réalité! Plus tu envoies tout au diable, et plus le diable chasse la mort! Il chasse la mort, mais il ne te quitte pas pour autant. Au contraire, il est toujours plus présent, car là où il n’y a pas de mort, le diable installe ses citadelles les plus solides. Mais comment dire toutes ces choses sans détour dans une société comme la nôtre, où l’on fait méthodiquement la guerre à la mort, en partant de la plus stupide des confusions de plans: le plan sacré, profond, celui de la métanoïa d’une part, et de l’autre côté le champ du démon, son parc d’attractions, son entrepôt de détergents, son bagage de protéines, de calories, d’antibiotiques!...
Moi, je ne meurs pas et je ne mourrai pas, mais mon enfant est mort. Moi, je vis, parce que je suis couvert de péchés, dégueulasse, un vrai mufle, parce que je sais me traîner comme une loche poisseuse, lui, par contre est mort, parce qu’il ne savait pas très bien ce qu’était la vie, il s’imaginait que la vie était une sorte de mythe, de conte, d’accord parfait entre les pensées et les actes. Mais à un moment donné quelque chose a craqué dans son crâne, il a tout compris bien trop vite, voilà le malheur; il a compris trop jeune ce que je n’ai commencé à comprendre qu’à partir de 40 ans et que la majorité de la population comprend à peine vers 60 ou 70 ans, et à cet âge-là, c’est normal, on ne peut plus réagir. L’intellectuel réagit par l’écriture, par la création, par une activité au plan abstrait, qui parfois peut recouper le plan spirituel, mais l’homme simple, qui n’a pas de telles ressources doit se résigner, par manque de force, à cause du fardeau de l’âge. Mais c’est ce qui le sauve et il continue de vivre, maussade, triste, absent ou, plus grave, insensible; seulement quand on est très jeune, quand on est encore presque un enfant, ce choc est fatal. C’est ce qui s’est passé pour mon enfant. Il a compris trop tôt, il n’a pas eu les moyens d’amortir le choc, il n’avait pas la foi, bien que je l’aie emmené à l’église, que je l’aie poussé à croire, à acquérir cette inconscience de la foi, cette couche ultime de l’être qui ne cède pas, comme l’instinct sexuel ou celui de se nourrir, si bas soit notre moral, cette couche dont le Père Andreica me parlait sans me convaincre. Alexandre, tout comme moi, ne s’est pas laissé convaincre, parce qu’il était trop intelligent, trop critique, trop analytique pour se laisser conquérir par ce qu’il y avait dans l’église, par mes paroles paternelles, par l’illusion d’un Dieu de bonté. Même tout petit, à l’école primaire il était affreusement lucide. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’il sortirait de mes entrailles une semence dont naîtrait un tel monstre: il n’avait pas la foi, il n’avait rien, il n’aimait pas le sport, il n’aimait pas les filles, il ne voulait pas aller en discothèque, aux boums, en colonie de vacances, il n’avait qu’une seule qualité: il lisait, il lisait énormément, avidement, de façon démoniaque, il pouvait lire deux livres par jour, on ne pouvait pas le décoller de ses lectures, et plus il lisait, plus il devenait sombre, solitaire, sauvage, il avait pris le chemin de l’autodestruction de façon irréversible. Il était à l’âge de la puberté, il avait beaucoup grandi, il commençait à avoir du poil, aux jambes, sur la poitrine et il était étonné de ces signes de virilité dont il aurait voulu se débarrasser, comme on se débarrasse de la saleté: on se lave et puis c’est tout; mais l’eau et le savon n’avaient aucun pouvoir dans son cas. Je l’ai surpris un jour en train d’essayer de raser ces poils, je me suis fâché, je l’ai traité de pervers, lui ai reproché de se dresser contre la nature. Ma fureur était déplacée, ce jour-là, je ne craignais pas que mon fils ait des déviations sexuelles ou autres anomalies du genre, mais j’avais horriblement peur de son incapacité à s’adapter aux transformations qu’imposait son âge. Je savais qu’il comprenait bien trop de choses pour son âge, qu’il était surdoué, qu’il y avait une part de génie incrustée en lui, comme une poche aurifère dans du minerai, et qu’il devrait le payer très cher. Plus les jours, les semaines passaient, plus il s’enfonçait dans une puberté brûlante et pleine de tentations, plus le prix de son manque d’adaptation devenait exorbitant. Comprendre et ne pas pouvoir se défendre de l’onde de choc de cette compréhension! Comprendre et ne pas pouvoir se faire d’illusions, et ce, juste dans sa première année de lycée. Tous ceux qui ont fait de grandes choses dans les sciences ont été des illusionnistes! Ils se sont figurés être le nombril du monde et c’est ainsi qu’ils ont accompli l’immense œuvre de l’inutilité. Ces esprits avides, studieux, que nous enviions, auxquels nous dressions des statues, sont en fait d’une inculture crasse. Car, en fin de compte, qu’est ce que la culture suprême sinon l’onde de choc de la compréhension qui a frappé et vaincu mon enfant? Très jeune, détestant sa pilosité, méprisant le futur mâle qu’il allait devoir devenir, sauvegardant sa chasteté et s’épouvantant de l’instant où il devrait la perdre, il a compris trop vite qu’il ne devait pas devenir un forçat des sciences, de l’espèce, qu’il ne devait pas piétiner sur place dans la parcelle de l’humain. Seigneur Dieu! Être un enfant et faire cette distinction acérée, chirurgicale, entre l’humain et l’au-delà de l’humain! Qu’est ce qui avait bien pu se passer dans son âme pure, quel déchirement douloureux, comme celui de ces nuages charnus qui se déchiquettent d’eux-mêmes pour faire place à l’éclair, quelle flamme avait bien pu le brûler des pieds à la tête pour l’empêcher dès lors de remonter les poulies de sa propre vie? Il avait compris qu’il ne serait rien de plus qu’un homme et qu’il devrait répéter jusqu’à la folie, mais sans atteindre la folie cette même partition biologique et culturelle. C’est ça qui lui a coûté, c’est pour ça qu’il a dû payer.
Le père Andreica sait que je suis le père d’un suicidé et c’est pourquoi il m’a souvent pardonné de rester dans un recoin de l’église, près de la table aux cierges, avec ma mine renfrognée. Mais je n’ai jamais pu cesser d’être sombre et renfrogné et je n’ai jamais fait un pas de plus vers l’autel. «Je vous le dis: Plus grand que Iohanân parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’en est point. Mais le plus petit, du royaume d’Elohim est plus grand que lui». Saint Luc,7-28 [2]. Chaque fois que je veux relire le Nouveau Testament, je bute sur ce passage et j’ai envie d’y mettre le feu, pour jeter dans ce feu tous nos popes ventrus et joviaux qui ne comprennent rien à la douleur des mots et continuent de remplir leur devoir de serviteurs de l’Eglise, passant avec indifférence près de l’abîme distant d’un pas de leur ignorance. C’est de ce passage qu’est parti, en fait, le suicide de mon fils. Non du fait qu’il l’ait lu – combien d’imbéciles ne lisent-ils la Bible que pour se vanter de l’avoir lue! – mais parce qu’il l’avait compris avant de le lire et au moment où il l’a lu, il a ressenti précisément la rupture, la faille, il a senti qu’il serait condamné à être homme toute sa vie. Il n’a pas supporté cette idée. Une mystique noire et négative s’est emparée de son esprit, l’ange l’a abandonné et il s’est retrouvé seul, face à l’abîme effrayant, tout comme il se serait trouvé, à proprement parler, devant un précipice qui vous attire. Dans de telles situations limite, quand on est véritablement sincère et pénétré au plus profond de soi-même de la force de la révélation intellectuelle, on ne peut se sauver qu’en étant proche d’un confesseur, d’un soutien spirituel exceptionnel, qui ait l’intuition du danger et vous impose un ‘canon’ très sévère. Ou bien d’un médecin qui vous bourre de tranquillisants et vous hospitalise dans une clinique. Seul, on ne résiste pas. Lui, n’avait que moi. Dans ma sottise, j’étais content d’avoir un enfant génial qui, à un âge si tendre, puisse faire la différence entre le divin et l’humain, mais qui du fait de sa jeunesse, incapable de réaliser un miracle, de fondre ces deux éléments en un seul être, risquait de faire une grosse bêtise. Et il l’a faite.
Je ne veux pas me rappeler la façon dont il est mort. Non que sois incapable de supporter le souvenir; ce qui me met mal à l’aise, c’est que nul n’avait le droit de profaner de tels gestes lucifériens cet après-midi, où, moi, dégoulinant d’inconscience, j’étais allé boire un ou deux demis et rentrais un peu gris, sans comprendre ce qui se passait. Pourquoi tant de gens se pressaient-ils au pied de l’immeuble, pourquoi, au moment où j’arrivais avaient-ils commencé à me montrer du doigt comme s’ils voulaient faire peser sur mes épaules le poids de ce qui venait de se passer? Mais que s’était-il donc passé? J’avais senti le sol se dérober sous mes pieds, je perdais l’équilibre, tout l’alcool de la mauvaise bière que j’avais bue s’écoulait de ma tête jusqu’à la dernière goutte. Les voisins ne regardaient plus le monceau de chairs et d’os rassemblés sous un drap, ils me regardaient, leurs regards fixes m’attiraient comme un aimant vers l’endroit où se trouvait ce qui restait d’Alexandre. Je voyais dépasser du drap grisâtre et tâché – j’en retiens bien la couleur- une chaussure de sport, celles que je lui avais offertes quelques mois auparavant pour son anniversaire; il était né sous le signe des Gémeaux, premier signe d’air, le plus labile, le plus dangereux pour les nerfs, le signe des personnes psychiquement les plus vulnérables, mais aussi celui des escrocs de grande envergure. Mon fils avait sélectionné un maximum de nervosité et d’instabilité, jointes à la sensibilité de son ascendant Cancer, dominé par la lune qui avait fait fondre jusqu’à la dernière bribe de sa résistance. La Lune noire, hallucinante, triple Hécate qui inspire les suicidaires s’était emparée de son âme. Il avait suffi d’une seconde pour que ce brusque frémissement des ténèbres paralyse tous les circuits de sa raison. J’étais là, hébété, impuissant devant ce petit monceau écrabouillé recouvert du drap et je n’étais pas en mesure de réaliser que loin d’être le point final de ma tragédie, ce n’en était que le début.
Je suis rentré à la maison, j’ai voulu allumer la lumière, alors qu’il faisait clair et chaud, c’était l’été. Je l’ai appelée, elle ne répondait pas, les voisins m’avaient dit de monter en vitesse pour voir ce que faisait mon épouse…Auraient-ils remarqué quelque chose d’alarmant sur son visage, dans son comportement? Je ne pris pas le temps d’attendre l’ascenseur, je montai en toute hâte les marches quatre à quatre. La porte était grand ouverte, n’importe qui aurait pu entrer pour cambrioler, tout voler. Quelle aubaine pour un voyou de notre époque, une famille dont le fils se suicide! Les parents ne savent plus où ils en sont, alors, pensez bien, faire attention à la maison…! Sanda avait jeté tout ce qu’il y avait dans la penderie, les manteaux fourrés dans des sacs plastiques avec des boules de naphtaline, les vieilles chaussures éculées, tout ce dont je promettais toujours de nous débarrasser, sans le faire, la valise avec les draps à porter à la laverie, elle avait tout jeté en vrac, pour retrouver les murs nus et elle s’y était cachée, pour guetter. Dans la pénombre de cette niche où elle s’était pelotonnée on n’apercevait que ses yeux verts, brillants comme des émeraudes, ces yeux, dont j’étais tombé amoureux il y a plus de quinze ans, ses yeux fascinants et pourtant froids, tout comme des pierres précieuses, dont la plus belle eau ondoie sans trace d’affectivité. Je voulais m’approcher, mais je pris peur. Je commençais à réaliser que la mort d’Alexandre l’avait plongée, elle aussi, dans cet univers suffocant de l’incapacité de communiquer. Je surmontai pourtant ma frayeur, je me penchai, lui tendis la main. Pas de réaction! Je la saisis par le bras, la tirai, elle ne s’y opposa point, je tirai encore, la traînai jusque dans la chambre à coucher, comme on tire sur un meuble ou un tapis. Elle se contentait de tourner la tête pour ne pas me lâcher de son regard vert et froid, maladivement glacial, de ses yeux de femme active et à moitié frigide, qui avait lu, elle aussi, des bibliothèques entières, sans se soucier de porter la même robe des années de suite et que j’avais fait la lourde erreur d’épouser. Á l’époque, je n’étais plus tout jeune, j’avais plus de quarante ans, je grisonnais, j’étais bouffi, je savais bien que plus aucune femme ne jetterait les yeux sur moi, alors, un soir, où j’avais bu plus que de raison, j’avais essayé de lui jouer un tour, mais pas dans le sens courant de la duper, j’avais essayé de lui jouer un tour en lui parlant d’Umberto Eco, autre charlatan milliardaire de notre époque, avec tout un tas de tours de passe-passe bassement sémiologiques. J’espérais exciter son intérêt ou l’exciter tout court. Je savais depuis longtemps que ce n’était pas le genre de femme à répondre à des incitations banales. Pour se glisser sous sa jupe, il fallait d’abord lui chatouiller le cerveau, le chatouiller jusqu’au moment où la crise de nerfs vous guette. Ma tactique avait marché. Elle était sensible au chapitre Eco, parce qu’elle était justement en train de préparer un doctorat à son propos, je ne sais plus très bien…
Je la traînais et elle tournait la tête pour ne pas me perdre des yeux. Elle voyait bien que je ne supportais pas son regard de femme démolie, de mère dont on a tué l’enfant. «Je te hais, grinça-t-elle en serrant les dents. Pourquoi ne t’es-tu pas tué, toi? C’est toi qui devais te tuer, et lui, il devait vivre».
Elle ne me lâchait pas du regard, de ce regard fixe, maladif, un regard vide de statue, de peinture sur un sarcophage et les paroles dures qu’elle m’adressait venaient d’ailleurs, de l’arrière, «des coulisses», ce qui atténuait leur effet. Je me souvenais du film Belphégor, avec Juliette Gréco, un film que j’avais vu à l’école, une sorte de film d’horreur avant la lettre, qui m’avait fait une forte impression à l’époque et, en regardant Sanda, je percevais ce même glissement des plans, ce même dédoublement fatal de la personnalité. Elle demeurait une simple peinture, une frise, une fresque sur la pierre de son corps, alors que son intérieur malade, possédé, plongeait de plus en plus profondément dans les ténèbres, d’où elle pouvait me parler avec toute la haine d’un inconscient impossible à censurer.
«Tu aurais mieux fait de te tuer à sa place! Tu n’es bon à rien. Un paresseux, un infatué, un ivrogne qui m’a pourri la vie avec ses «je vais faire...je vais m’arranger..», incapable d’amener régulièrement autre chose qu’un salaire de misère que je devais me crever à compléter en donnant des cours particuliers, en cavalant d’un bout à l’autre de Bucarest, sans quoi on n’aurait jamais pu joindre les deux bouts!» Son discours était de plus en plus précipité, de plus en plus incohérent, l’écart entre ses regards et ses paroles devenait de plus en plus profond. Je me rendis compte peu à peu, qu’il y avait un complet dédoublement de sa personnalité et finalement, comme je m’y attendais, elle cessa de parler, elle n’émettait plus qu’un genre d’aboiements. Je tentai de la calmer, mais c’était bien trop tard. D’ailleurs elle se réfugia très rapidement dans sa niche, dans la penderie, où elle s’était aménagé un abri avec l’instinct d’un animal qui jamais ne se trompe, quand il va bâtir sa tanière. Je la laissai tranquille, je n’en parlai à personne et m’occupai seul de l’enterrement. Je remplis toutes les formalités en un temps record, je fis porter la dépouille de mon fils à la chapelle, pas chez nous, pour que nul n’y vienne voir dans quel état se trouvait Sanda. Personne n’avait été surpris de son absence au cimetière, les gens se rendaient compte à quel point elle pouvait être ébranlée. Mais personne n’aurait pu imaginer, bien sûr, qu’elle eût perdu la tête à ce point. J’eus beaucoup de mal à rentrer à la maison. Elle était toujours dans la penderie, toute recroquevillée, dans une position anormale. Si elle avait eu davantage de place, elle se serait allongée, le museau sur les pattes de devant, comme un chien qui se repose. Elle ne remarqua pas ma présence. J’aurais voulu lui donner à manger, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Il n’était pas question de la faire venir à table, si j’avais essayé de la nourrir comme un petit enfant, comme une malade, elle aurait refusé sans doute; il ne me restait plus que la solution la plus misérable, lui mettre une écuelle par terre, avec un peu de nourriture qu’elle pourrait prendre quand elle en aurait envie. J’agissais comme si j’avais eu affaire à un animal, mais je n’avais pas d’autre solution. C’est incroyable, mais cela a duré des semaines, des mois peut-être.
CHAPITRE V
J’étais à proximité du Cercle Militaire, les yeux rivés sur un éventaire couvert de revues hautes en couleurs, tout en pensant que ce ne serait pas une mauvaise idée d’aller voir un film dans un des nombreux cinémas, qui se succèdent sur le boulevard, ex 6 Mars, ex Gheorghiu-Dej, actuellement Elisabeta. Je me souvenais de l’époque où l’on y passait Angélique, Les Vikings, Carthage en flammes, des superproductions des années 60. Les gens s’y bousculaient alors, jeunes, fonctionnaires, vieillards, tant on avait besoin d’un peu de drogue, de cette vie sur pellicule, d’oubli pour les uns, de stimulant pour d’autres. J’étais allé une fois avec une de mes collègues, professeur de latin, voir la deuxième partie d’Angélique. Des tziganes se pressaient devant le cinéma et vendaient les billets à des prix exorbitants, il y avait une bousculade indescriptible, nous avions eu du mal à nous glisser dans la salle. Le public était excité, transpirait, mais la vulgarité ambiante nous grisait, on avait une sensation de bien-être. Cette jeune fille sérieuse, cultivée, - elle connaissait par cœur toutes les vies des Césars racontées par Suétone- semblait grisée, elle aussi, libérée de son corset de savoir. Elle vivait avec intensité les péripéties des héros pirates, arabes, se plongeait dans les mers, les minarets, dans les vies de Robert Hossein et de Michèle Mercier. Nous nagions dans la fiction, alors qu’à l’extérieur, Ceauşescu venait juste de prendre le pouvoir, il était gras comme un verrat, le cheveu aussi noir qu’une aile de corbeau, et faisait le ménage dans la vieille garde de Dej [3].
Qu’est ce que cela pouvait bien nous faire qu’une frêle vérité tentât de montrer le bout de son nez à propos de Pătrăscanu [4], du moment, que sur le boulevard nous avions des films de cape et d’épée! Oh, j’aurais pu, alors, mettre la main sur cette professeur de latin qui espérait goûter la drogue jusqu’au bout, oublier les désinences et les cas des noms pour monter sur l’écran, comme Mia Farrow dans La Rose pourpre du Caire, que je verrais bien plus tard, quand mes cheveux auraient déjà commencé à grisonner. Mais je n’en avais pas eu le courage, j’avais refusé la jeunesse. Si j’avais épousé la professeure de latin, sans doute ne serais-je pas devenu le père d’un enfant suicidaire. Et par la suite, elle s’était lancée, de la façon la plus déplorable possible, dans une liaison peu honorable avec le chauffagiste du lycée. Sidérant! Leçon de vie? Baliverne ! Rien que des banalités! Une histoire à quat’sous, voilà tout!
Les souvenirs m’assaillaient ce soir-là, à côté du cercle Militaire, tout près de la salle d’expositions. J’avais fait quelque pas de plus, les yeux mi-clos, lorsqu’un bruit assourdissant me fit tressaillir. Un pavé lancé depuis une voiture qui passait à toute vitesse sur le boulevard venait de briser une vitre de la salle d’exposition. Sur le coup je ne me rendis pas compte de ce qui se passait. Il fallut que les badauds se rassemblent, pour que je comprenne, quelques instants plus tard, de quoi il retournait. Je n’avais encore jamais vu cela, ou bien alors, seulement dans la soirée du 21 décembre 1989, quand les vitrines exposant les oeuvres de Ceauşescu avaient volé en éclats. Mais alors le bruit de verre brisé avait été un véritable régal, une libération, un triomphe. Maintenant la peur me faisait presque trembler, comme si j’avais été l’objet de cette agression. Deux officiers jaillirent de la salle pour noter le numéro de la voiture. Les soldats en sentinelle étaient encore plus ahuris et ne savaient que faire. Je tendis l’oreille pour saisir des bribes des conversations qui s’engageaient.
- Cette fois, ils ont fait fort, dit l’un des deux officiers. Ils ont commencé par coller des affiches, ils ont barbouillé les fenêtres de peinture, maintenant ils se sont mis à les briser. C’est la plus grave offense faite à l’armée.
- Il va falloir fermer l’exposition plus tôt que prévu.
Une petite vieille qui se trouvait près d’eux intervint, sans que personne ne le lui demandât.
- Moi, je me demande pourquoi vous l’avez ouverte, braves gens? Vous n’avez pas vu ce qu’il y a comme infamies là-dedans? C’est une honte! Vous, des militaires!
- C’est un comble, s’étonna l’autre jeune officier, à la tenue parfaite – il se voyait sans doute déjà coopté aux échelons supérieurs de l’OTAN pour le sud-est européen. Il faut aller dire un mot à ces trouillards de policiers, qu’ils se remuent un peu.
En dépit de l’assurance qu’il affichait, les gens présents à l’exposition sortirent effrayés, osant à peine parler tout bas. Comment ça se fait, comment est-ce possible? Une telle barbarie? Il n’y a plus trace d’ordre dans ce pays?
Je n’eus pas de mal à remarquer le Père Toader dans la foule. Il avait l’air d’être le plus révolté, il agitait les mains, parlait fort, manifestait sa colère de façon très convaincante.
- C’est un retour à l’Inquisition ! S’être débarrassé du communisme pour supporter une censure encore plus cruelle? On a le droit d’écrire et d’exposer ce qu’on veut, mais d’un autre côté il y a toutes sortes de dingues pour venir faire la loi. Il ne suffit pas qu’ils aient voulu brûler mon livre, il faut maintenant qu’ils s’en prennent à cette femme!
Je ne comprenais pas tout ce que disait le prêtre à cause du chahut, de nombreux passants s’étaient arrêtés devant l’exposition et se lançaient dans des discussions enflammées. L’officier à l’aspect occidental, qui se voyait déjà aide de camp à l’OTAN, prit son courage à deux mains et fit une déclaration spectaculaire.
- Il n’y a pas de doutes, ces misérables ont partie liée avec la police. Nous avons déjà déposé des quantités de plaintes et ils n’ont pas été capables d’en arrêter un seul.
Des caméras avaient surgi, habilement maniées par leurs caméramen, jeunes, flegmatiques, mâchant du chewing-gum, et rêvant de travailler pour quelque patron aux poches bien pleines.
Je me faufilai parmi la foule et entrai dans l’exposition abandonnée. La bousculade à la sortie avait endommagé un tableau accroché près de la porte. La femme qui le ramassait maintenant en tentant d’évaluer les dégâts ne pouvait être que le peintre qui exposait. Plus toute jeune, malgré ses longs cheveux blonds-miel qui lui descendaient jusqu’à la taille. Elle se mouvait lentement, comme planant, comme un être égaré dans une réalité qui lui était étrangère. Elle semblait être la seule que la panique ait épargnée. Á sa façon de sourire, discrètement, mystérieusement, une sorte de sourire à peine esquissé, elle donnait l’impression de s’être attendue à cette agression. Elle se tourna vers moi, avec un regard triste, comme si elle me demandait de l’excuser pour cet incident. Privée de force, d’aide, elle conservait pourtant dans sa façon d’être cette solidité de l’homme ou plutôt de la femme dont rien ne peut ébranler les convictions. Son visage ovale aux lèvres charnues mais sans aucune sensualité, son menton viril, ses petits yeux, ronds, assez vifs, mais inexpressifs, composaient le portrait d’une femme peu séduisante, bâtie dans une argile lourde et mate. Malgré tout, elle en imposait au premier regard, c’était une créature invraisemblable, issue des terres de la création, de matière durcie par le soleil, un soleil lourd à son tour, cuivré, tranche de la terre sédimentée.
- N’ayez pas peur, me dit-elle, c’est une plaisanterie de mauvais goût. Mon cousin fait beaucoup de bruit, mais c’est son genre de voir des complots partout.
- Comment? Vous êtes parente du père Toader?
- Oui, qu’y a-t-il d’étonnant à cela? Vous le connaissez?
- Je suis allé le voir dans son église, j’ai lu son livre.
- Ah, fit-elle, concentrée. Son livre est dangereux. Mais il en a toujours été ainsi dans notre famille. Nous avons aimé le feu et le feu nous a aimés.
- Je ne comprends pas.
- Le feu est, parmi tous les éléments, le plus précieux, le plus important. Parfois il enflamme le ciel et dans ses flammes on peut distinguer des signes, des hiéroglyphes, des anges…
Elle parlait avec aisance, le flottement de son corps se prolongeait dans ses paroles, tout aussi invraisemblables. Elle me faisait penser à une montagne ou une colline apparemment inoffensive, aux pentes douces, qui se mettrait à gonfler, à bouger, à changer de forme, levant doucement comme de la pâte à pain.
- Moi, je n’ai pas vu d’anges, ajouta-t-elle.
Je parvins à me concentrer et me mis à observer les tableaux qui faisaient le tour de la salle, en arc de cercle. Je ne l’écoutais plus, car ses peintures étaient si étranges qu’elles vous laissaient tout bonnement sans voix et vous bouchaient aussi les oreilles. Des corps, des corps, des corps, une chute de corps en chaîne continue du ciel à la terre, des mains enserrant les chevilles de celui qui se trouvait en dessous pour arrêter sa chute; mais, en regardant plus attentivement, on pouvait aussi inverser la perspective. La chute pouvait être ascension. Les corps surgissaient l’un de l’autre, les pieds de celui du dessus étaient un point d’appui pour celui qui se trouvait dessous. En fait, la chute et l’ascension pouvaient n’être qu’illusion car la chaîne de corps semblait condamnée à l’immobilité, comme si les corps suspendus les uns aux autres n’avaient eu aucune possibilité de bouger, captifs, pareils à des insectes dans un grain d’ambre. C’était sans doute l’intention de l’artiste, de suggérer que ces êtres étaient fixés dans une effigie de l’effort, de la vanité ou du peu de durée de vies, qui du point de vue du créateur ne dépassent pas un clin d’œil. En réalité, le jaune moelleux des tableaux, tirant sur le bronze, me faisait penser qu’en peignant, la femme s’était inspirée de la cascade de ses cheveux longs et drus lui enveloppant le dos comme un châle, tissé de sa propre substance.
[1] Patriarche de Roumanie.
[2] Trad. André Chouraqui, Ed. Desclée de Brouwer, 1989.
[3] Dirigeant du PC roumain avant Ceausescu.
[4] Ministre, écarté du pouvoir, victime de fausses accusations.